Un chef-d’œuvre sur les bas-fonds
Au sortir de la première guerre mondiale les Américains jouissent d’une période de progrès en tous genres, de croissance et d’insouciance connue sous l’appellation Roaring Twenties ou Années Folles. En parallèle de cette euphorie, la tribu amérindienne des Osages traversa une zone de turbulence qui faillit bien l’anéantir.
L’exil des Osages
Comme toutes les Amérindiens, les Osages périrent, au XVIIe et XVIIIe siècles, des maladies infectieuses apportées par les Européens. Comme toutes les Amérindiens, les Osages furent sans cesse repoussés vers l’Ouest, notamment au XIXe, au fur et à mesure de l’arrivée de nouveaux colons qui accaparaient toutes les terres fertiles. Comme tous les Amérindiens, les Osages comprirent que la cohabitation avec les fermiers blancs serait impossible. Comme tous les Amérindiens, les Osages, parqués, condamnés à la dégénérescence de leurs singularités (histoire, culture, langue…), réduits à végéter, ont failli sombrer.
Le temps des vautours
Pragmatique, le gouvernement fédéral entreprit de déporter les Osages en Oklahoma, dans une réserve chapeautée par le bureau des affaires indiennes. Ironie de l’histoire, des prospecteurs y découvrirent, en 1897, du pétrole. Partant, les Indiens, qui disposaient de l’intégralité des droits miniers sur ces terres ingrates, engrangèrent tout à la fois la fortune et le malheur. Les dollars pleuvaient et, avec eux, la médiatisation. Le New York Times titra : « Les Osages sont les gens les plus riches du monde ». On imagine sans peine quelles convoitises envoûtèrent les vautours qui eurent vent que chacune des 2 229 familles osages détenait un pactole sidérant. Les plus avides rivalisèrent de machiavélisme (épousailles et meurtres, arnaques et empoisonnements) pour s’emparer des titres de propriété.
La caméra de Martin Scorsese
Tel est le fait historique que Martin Scorsese a choisi de traiter dans son dernier film (adapté du livre de David Grann, La Note américaine), Killers of the flower moon. Le souvenir (dans la mémoire collective) des abominations plane toujours sur le comté Osage. Ces drames attestent de l’absence de limite à la cupidité. Après avoir quasiment exterminé les quelque 60 millions d’individus qui vivaient en Amérique du Nord avant qu’un hasard funeste ne conduise Colomb dans leurs parages, il a encore fallu que d’immondes « envahisseurs » ne s’ingénient à dépouiller les survivants. Et même après que l’état se fut décidé à intervenir pour mettre fin aux exactions, d’autres prirent le relais pour escroquer les Osages.
Heureusement, le FBI, tout juste créé, avait une puce à son oreille…
Aujourd’hui, la nation Osage, riche de 23 000 membres, dispose de droits souverains. La manne pétrolière est aujourd’hui tarie. Mais les Osages, comme d’autres tribus, ont investi dans l’exploitation du plus crétin des vices : le jeu. Ils gèrent des bandits manchots. Si le joueur tient du pigeon déplumé, l’exploitant mérite bien le titre de renard rusé : les recettes des casinos abondent 90% du budget de la nation. Laquelle est dotée d’équipements enviables : écoles, hôpitaux, maison de retraites etc… Les Osages – quel destin ! – ont su triompher de bien des épreuves.
Incontournable !
Le trio Scorse, De Niro, Di Caprio a concocté plus qu’un film, une œuvre de 3h26 nécessaire à l’humanité. Le premier filme le sordide avec une maestria confondante. Le second donne un visage extraordinairement expressif à toutes les facettes de la duplicité. Le troisième tergiverse sur les sommets manichéens… Il offre une mine torturée à la valse-hésitation d’un character qui ne sait qui, du bien ou du mal, il doit choisir. Elle puise à diverses sources – fresque historique, western, intrigue policière avec vrais morceaux (de bravoure) de FBI balbutiant… – pour nous éclairer sur une autre page noire de la construction du Nouveau Monde. Incontournable !
Killers of the flower moon – Sur les écrans depuis le 18 octobre 2023
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