Équiblues ou l’histoire d’un mariage idyllique du cheval et de la musique
Créé en 1996 par Philippe Lafont, le festival Équiblues traverse le temps sans coup férir. Preuve que sa formule Rodéo / Équitation Western + Country Music comble un public de plus en plus nombreux.
L’aube, nimbée de brume, laisse deviner une campagne blanchie par la rosée matutinale. La butte, ceinte de sombres conifères guindés, déroule une pente douce. Constellée de tipis, de tentes de trappeurs, de campements hétéroclites, de recreational vehicles (trailers, camping-cars, truck campers, motorhomes…), la prairie perle et ravive. Les femmes et les hommes, fêtards patentés, transis donc pelotonnés, rêvent et…, ronflent, stetson sur le nez. Les harleys et les pick ups, tels des sentinelles sur le qui-vive, semblent veiller sur le repos de leurs amoureux.
Engourdis, la tronche en biais, parfois traversés par quelques troupeaux de bisons furieux, les plus matinaux se lèvent, s’étirent, se frottent les yeux. Un air frisquet les saisit. Ya urgence d’écluser un café réparateur. Patience ! Un cowboy digne de ce nom se doit de d’abord veiller au bien-être de chevaux et chiens. Eau, foin, granulés, pâtées… Commencent ensuite à vrombir mezza voce les V8 des Dodge ou les ronronnements à quatre temps des Harley-Davidson. Brrrrooooo….Bop ! Bop ! Bop ! Douce et câline mélodie. Et tous de bientôt se retrouver dans la main street de Saint-Agrève, dans les bistrots, aux terrasses. Sturgis, Cheyenne, Nashville ? La petite ville ardéchoise semble soudain jumelle de ces cités mythiques. Les autochtones, habitués de cet exotique ballet aoûtien, s’amusent à identifier les différentes tribus : les cavaliers chaussés de bottes à éperons, les motards de bottes sans éperons, les pieds-tendres et autres touristes…en sandales ou pataugas.
Le soleil entame sa course et les fondus de travail du bétail à cheval, déjà en selle, arpentent l’arène, échauffent leurs montures, peaufinent de subtils réglages. Place aux disciplines de travail du bétail à cheval : ranch cutting, ranch sorting, team penning… Il faut voir les kids (la relève), rivés à leur cheval, trotter et galoper, crier, canaliser les vaches avec une ardeur émouvante.
Une fois Phébus à son zénith, place aux choses sérieuses… C’est l’heure où les centaures moissonnent la gloire.
Les disciplines emblématiques du rodéo – Bareback et Saddle bronc riding (huit secondes sur un bronco bondissant) puis bull riding (idem sur un taureau) – attirent initiés et large public friand d’émotions fortes.
Ici aux Equiblues, les riders ne viennent pas en exhibition pour amuser la galerie avec des montures à bout de souffle. Ici, ils viennent du monde entier (États-Unis, Brésil, Canada, Italie…) pour se disputer des dollars et améliorer leur classement. Ils débarquent, heureux de constater que les infrastructures, calquées sur celles des grands rodéos américains, leur offrent de bonnes conditions de travail. Ces gars-là, comme les matadors, savent ce qu’ils doivent à la prévoyance. Ils sont d’autant plus casse-cou dans l’arène qu’ils ont pu, dans l’intimité des coulisses, satisfaire aux règles de sécurité. On les surprend, concentrés, occupés à préparer les cordes, les gants, les protections. De la qualité de leur « grip » dépendra leur prestation. Chaque geste est calme, précis, efficace. Des professionnels.
Le rodéo de Saint-Agrève débute invariablement par une « parade géante ». Tous les cavaliers de toutes les disciplines pénètrent sur la grande carrière à la suite d’un ballet d’amazones arborant les étendards. Une fois que tous sont rangés face aux gradins, on joue les hymnes nationaux. Tout le public est debout, tête nue, le chapeau et la main sur le cœur, digne, respectueux. Retentit alors la prière du cowboy…
En résumé, les cowboys ne demandent nulle faveur dans l’exercice de leur art mais la bienveillance divine quand sera venue l’heure de chevaucher pour l’éternité dans les vertes prairies édéniques.
La propension des Américains à invoquer Dieu en toutes circonstances étonne les affranchis des choses religieuses. Soyons cool ! Aussi longtemps qu’ils ne cherchent pas à convertir les mécréants (ou à imposer leurs dogmes ou leur religiosité), ils ne gênent personne.
Une fois ces préliminaires assurés, les choses sérieuses commencent. Les taureaux, lourds mais puissants envoient valdinguer les rodeo men grâce à une étonnante faculté de se tordre, la tête à hue, la croupe à dia. Avec les chevaux c’est encore plus spectaculaire. Ils ont une phénoménale capacité à bondir, rebondir, sauter, ressauter, ruer, culbuter, renverser, éjecter. Sur leur dos, l’homme, secoué, ballotté, harcelé, chahuté, malmené doit connaître des sensations identiques à celles d’une enzyme glouton dans le tambour d’un lave-linge.
Pour peu que l’on abandonne un instant le téméraire chevaucheur à son sort chaotique pour regarder les spectateurs, on lit dans leurs mimiques le drame qui se joue. Il y a des « oh » d’admiration, des « ah » de déception et des grimaces de douleur au moment où le garçon pantelant mord la poussière. Dans les arènes d’aujourd’hui comme dans les cirques de jadis, le peuple attribue la gloire aux winners qui gagnent et l’opprobre aux loosers qui échouent. Le rodéo reflète la vie. Il y faut du courage et de la rage pour réussir. Du savoir-faire aussi. De la chance enfin. Et c’est pour cela que ce sport spectacle nous passionne tant. C’est toute l’histoire de nos rêves de gloire que reproduisent ces gars intrépides. Bravo et merci à eux.
Il reste à trinquer – avec une cervoise bien fraîche – à la santé des rois de l’arène. La soirée commence à s’écouler lentement. On achète un nouveau chapeau ou une paire de botte. On discute. On projette. On rabâche que c’était mieux avant. L’ambiance, festive et conviviale, nourrit cependant la fidélité des inconditionnels de Saint-Agrève. Après la pandémie qui a tant bouleversé d’habitudes (quand elle ne les a pas détruites), les musts sont heureux de retrouver leurs fans.
Les organisateurs précisent : « Équiblues sait aussi se réinventer. Cette année, nous avons l’occasion d’inaugurer une double programmation inédite, alliant la tradition country sous le chapiteau à une série de quatre concerts rock, rockabilly, swing, blues au Red Fox Saloon. Et ce n’est pas tout ! Pour accompagner ce festival, nous sommes ravis d’accueillir pour la première fois un rassemblement exclusif des mythiques voitures Mustangs ». Ils remercient les partenaires sponsors, les 180 bénévoles (« sans qui rien ne serait possible »), le public qui année après année reprend le chemin de Saint-Agrève pour vivre quelques jours à l’Américaine.
Allez, tous à Saint-Agrève du 14 au 18 août 2024.
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